Interview de Florent Martin : sa vision du Beaujolais !

Florent Martin interview beaujolais

Beaujolais & Co a décidé de donner la parole à des sommeliers reconnus, pour les entendre sur leur vision du Beaujolais.

Comme vous l’avez compris, Florent est en finale du concours du Meilleur Sommelier de France. La performance est notable c’est certain. Mais Florent a-t-il d’autres circonstances qualifiantes pour nous parler des vins du Beaujolais ? Des origines corses peut-être ? Après tout, les singularités rapprochent. Une position de 1er Sommelier au Four Seasons George V à Paris intégré il y a une dizaine d’années peut compter également. Avant cela il aura soufflé le chaud et froid entre le climat Londonien où il œuvra auprès de Gordon Ramsay avant d’être en nostalgie de chaleur méditerranéenne et de se précipiter au Louis XV chez Alain Ducasse à Monaco.

Donc à force de tutoyer les sommets, Florent est tout trouvé pour nous entretenir de sa vision du Beaujolais (au sommet dans nos cœurs). Découvrons tout cela ensemble aux travers de quelques grandes thématiques.

Quelle est historiquement ta vision des vins du Beaujolais ?

D’entrée Florent marque des points. Il considère le vignoble comme une région historiquement très forte. Il développe comme suit.

Comparaison n’est pas raison ?

Tout d’abord, selon lui, en tant que sommelier, une comparaison naturelle se fait avec la Bourgogne. Excusez du peu mais être comparé au meilleur cela permet d’avancer, non ? Il y a ainsi des antécédents politiques (administratifs), gustatifs très forts entre ces deux vignobles mitoyens. De fait la comparaison s’établit et le dégustateur est amené à comparer. Chez Beaujolais & Co, on se demande bien si comparaison n’est pas raison.

Les grands hommes

Le second élément que Florent met en avant est en fait deux grands personnages structurants du Beaujolais en la personne de Jules Chauvet et de Marcel Lapierre. Pour rappel, cher lecteur, Jules Chauvet était en Beaujolais un négociant éleveur de vins durant la seconde partie du XXème siècle. Il est considéré comme le père des mouvements dits naturels. Marcel Lapierre est un domaine « nature », fondateur et structurant du Beaujolais. Il est toujours un des domaines les plus qualitatifs et les plus en vue. Florent souligne l’énorme influence mondiale qu’ils ont eue l’un et l’autre sur la manière d’élaborer du vin et de le consommer.

La grande marche en avant du marketing

Le troisième point souligné par notre sommelier corse est le succès mondial rencontré par le beaujolais nouveau. Cela étant dit, il souligne immédiatement que cette notoriété a été à double tranchant en entachant aussi l’image qualitative du Beaujolais. Mais d’un point de vue commercial et marketing la chose est à voir et observer admet-il.

Le beaujolais des fourneaux

Enfin, travaillant en restaurant triplement étoilé, Florent ne peut pas passer sous silence les Chefs, tel Bocuse, qui ont été de véritables ambassadeurs de cette région et de ses vins.

Ces quatre éléments évoqués font du Beaujolais une région impressionnante aux yeux de Florent. Ouf. On est sauvé. Il pondère sa fascination en constatant que le vignoble est un peu considéré de travers à cause de la dimension médiatique préalablement évoquée. Et pourtant, il constate qu’à chacune de ses escapades dans notre vignoble il est séduit par ses paysages granitiques vallonnés lui confirmant la réelle qualité du terroir qu’il visite.

Boire du bojo ? Tu as fumé mec !

A ce moment-là de la discussion, tiens-toi bien cher lecteur, gros scoop. Florent se lance dans une comparaison osée et pour le moins inattendue. Il compare le Beaujolais… à la Jamaïque pour la musique. Face à ma surprise, mon sourire et mon questionnement taquin, il développe son propos.

La personnalité des habitants est selon lui caractéristique d’un certain état d’esprit. Les vins sont de finesse mais aussi funky et décomplexés. Là c’est du scoop n’est-ce pas ? Il précise. Le Beaujolais est un vignoble où les gens font de belles choses sans se prendre au sérieux constate-t-il. Alors que parfois, dans d’autres régions, les bons vins s’accompagnent d’un ego trop prononcé. L’ADN du beaujolais, dit-il est d’être décomplexé, un peu plus cool. Pour autant il n’est pas dupe, il sait qu’il y a du bon et du mauvais partout. Mais ici, quand on fait du bon vin, c’est avec cœur et de façon décomplexée. Je ne sais pas ce que vous en pensez mais pour notre part, cette comparaison nous séduit assez ; aussi surprenante fût-elle à sa formulation. L’ADN de cette région ce sont des gens généreux et sensible conclut-il. Que peut-on rajouter après tel hommage ?

Florent Martin en 2021 à l’occasion de la finale du meilleur sommelier de France

Y a-t-il eu une évolution sur cette image marketing du beaujolais, un regard différent porté, des attentes différentes des clients, sommeliers ?

Florent souligne que la question est très large en fait. Qui pense quoi et à quel moment ? Cela est aussi une question de génération. Il retient différents éléments de ses expériences au restaurant, dans son entourage, de son vécu par rapport à ce thème. That is the question ? pourrait-on dire chez Beaujolais & Co pour souligner super-subtilement notre côté polyglotte.

Le bojo des connaisseurs…

Il précise que les connaisseurs de vin, les sommeliers, ceux qui dégustent régulièrement du beaujolais savent parfaitement que ce vignoble est un véritable terroir de qualité. Celui-ci a historiquement fait bouger les lignes. Il s’y passe actuellement beaucoup de changements. Le Beaujolais offre ainsi de jolis flacons.

…et du reste du monde…

Cependant, de façon plus globale, dans le monde qui n’est pas celui des sommeliers, il y a encore des gens qui considèrent le beaujolais comme uniquement du primeur reconnaît-il. Cela semble fou mais c’est ainsi. Peut-être que l’info n’est pas passée s’interroge-t-il. Il tempère en soulignant que dans les beaujolais primeurs il y a aussi de très belles choses. En illustration, Florent mentionne les vignerons qui font des vins afin de faire ressortir des terroirs et qui savent également faire des primeurs de qualité. Peut-être y a-t-il aussi des grosses marques qui standardisent une peu la vision du beaujolais dans le monde évoque-t-il en conclusion.

Mais cela étant dit, c’est pour mieux souligner certaines singularités influentes. Il mentionne Lapierre qui a une grosse résonance dans le monde du vin. Et de nommer en complément des noms comme Foillard, Burgaud, très présents à Paris dans le fooding-gastro, voire même l’étoilé.

Et de conclure sur le constat que dans l’inconscient global il reste une progression à faire. Et ce, même si les professionnels savent qu’il y a un terroir de folie et des supers vins dans le Beaujolais. Ou que ce dernier a contribué à changer le monde viticole au travers du « sans soufre » et de la biodynamie.

Pourquoi la tendance bio, biodynamie, nature est particulièrement présente en Beaujolais ?

Selon Florent, au sein du monde des vignerons, Jules Chauvet a eu une réelle influence. Il y a un noyau dur au départ qui petit à petit a convaincu également dans la Loire, le Jura.

Ça balance pas mal dans le beaujolais

Florent souligne également un point important au sujet de la macération semi-carbonique, identité des Beaujolais primeurs. Selon lui, cela a été un moyen pour contourner le mouvement des années 2 000 qui était aux vins très puissants, riches, extraits et sur-boisés.

En contraste, les vins du Beaujolais s’affichaient comme des vins plus juteux, digestes et gourmands, moins techniques, avec plus d’éclats. Une extrémité répondrait à une autre et le système s’équilibrerait pour avancer ainsi. Il souligne l’aspect positif que des jeunes vignerons soient arrivés à faire des vins plus digestes, plus juteux.

Enfin, il constate que cette tendance ne s’est pas mise en place uniquement dans le Beaujolais évidemment. Le Jura, la Loire, ou même à Bordeaux, on devient plus respectueux des sols et on fait des vins plus élégants. Ce serait alors une tendance de fond.

Atouts et faiblesses du Beaujolais par rapport à la question du réchauffement climatique ?  

A ce moment-là de l’échange, le propos devient un brin plus technique. Mais on va essayer d’y voir clair. Allez hop, une gorgée de beaujolais, cela va nous aider.

Après la pomme, la rafle devient discorde

Florent commence ainsi. Garder la rafle est d’un certain côté gage de fraîcheur. Mais celle-ci peut aussi apporter une forme de rudesse. Bien maîtrisée la rafle permet d’aérer les vins. Pour Florent, la rafle oui, à juste quantité ; la macération semi-carbonique, oui, dans un style gourmand et juteux, mais cela ne doit pas devenir systématique. Rappelons ici les amis que garder la rafle, vinifier en grappe entière est une pratique historique et traditionnelle en Beaujolais. Pour plus d’informations, se rapporter à d’autres textes développés sur notre site.

La science de l’art

En rapport avec le changement climatique, Florent insiste sur le fait que c’est aussi l’ouvrier qui fait l’ouvrage et qui fait l’art. Ce sont bien les vignerons qui ont petit à petit l’intuition de ce qu’il faut faire ou pas en termes de plantation plus en altitude, de changement de cépages, etc…

Florent précise qu’il lui parait évident que le Beaujolais est en bonne prédisposition pour réagir au changement climatique, comparativement à des vignobles plus méridionaux. Il constate néanmoins que dès à présent, dans des vignobles comme le Roussillon, le Languedoc, il y a des vignerons qui ont compris qu’il fallait peut-être utiliser d’autres cépages plus anciens, avec des maturités peut-être plus tardives, planter en altitude, etc. Et le résultat est là ! Les vins sont tops conclut-il. En complément il constate aussi déjà des changements d’encépagement à Bordeaux avec par exemple du Tempranillo (cépage très présent en Espagne) ou du Touriga Nacional (cépage très présent au Portugal).

Mais de toute façon, le Beaujolais reste quand même sous un climat ensoleillé. Il n’y a pas de mode d’emploi établi, de règle. Ce sont bien les vignerons qui vont s’adapter et trouver comment accompagner la nature indique-t-il pour terminer son propos.

Atouts que le Beaujolais devrait davantage mettre en avant ?

Virage pris

Florent est clair. En ayant déjà bien entamé son évolution, le Beaujolais correspondrait bien à la tendance actuelle. Par exemple, le sujet du respect de la terre. On boit du vin avec moins de produits chimiques. Le vignoble gère encore correctement les degrés alcooliques. Les prix pratiqués restent raisonnables (ce qui reste selon Florent une dimension importante). Bref, le Beaujolais a bien géré ce virage et toutes ces évolutions. Le Jura, la Loire sont dans cette même logique. C’est aussi pour cela que ces vins explosent aux USA par exemple constate-t-il.

En complément, Florent souligne l’importance d’écouter davantage les cycles lunaires (pour plus de persistance et de vibration dans le vin) ; d’utiliser moins de chimie (pour plus d’éclat dans le goût) ; de prendre soin des vignes (pour préserver la variété des saveurs et la complexité des vins).

Depuis une dizaine ou une quinzaine d’années les vignerons ont largement utilisé la carte du « sans soufre ». Avec le temps, ces derniers ont gagné en précision et sont parvenus à proposer des flacons qui peuvent rivaliser avec les plus grands domaines du monde ou les plus grands vignobles, comme la Bourgogne par exemple.

La finesse…toujours la finesse…

Selon Florent c’est là le prochain défi dans l’évolution du Beaujolais : arriver au niveau de finesse et de précision qui existe dans des crus bourguignons qui restent un exemple à travers le monde. Il ne s’agit pour autant pas forcément de tout parcelliser mais en tout cas la direction devrait être celle-ci. Cette justesse et finesse pour gagner en visibilité et reconnaissance, en espérant aussi que les prix n’augmentent pas trop. Le rapport prix/plaisir restant un marqueur très attractif en Beaujolais.

Un accord insolite ?

Pour finir, nous décidons de poser une question un peu taquine. Nous savons Florent très au fait des accords mets et vins. Nous lui demandons de nous proposer un accord qui sorte des sentiers battus (très esprit Beaujolais & Co). Nous interrogeons Florent sur un accord qui sorte du traditionnel accord canaille avec les plats de charcuteries lyonnaises. La question n’est pas si simple que cela.

La finesse à la beaujolaise

Florent propose d’aller chercher la finesse de la volaille et peut-être de la travailler avec une gelée de cassis et non pas à la vessie ou aux morilles comme cela se fait classiquement, notamment en Bourgogne. La finesse de la touche bourguignonne serait contournée par la touche plus beaujolaise de la fraîcheur du cassis.

Il complète sa réponse en poussant jusqu’en Asie, au Japon plus précisément, haut lieu de beaujolais (notamment primeur) comme chacun sait. Il propose ainsi la finesse et le charnu d’un poisson japonais accompagné d’un subtil Fleurie.

Il conclut que le Gamay, comparativement au Pinot, pour un même niveau d’acidité offre une suavité, une rondeur supplémentaire qui peuvent équilibrer l’épice et le gingembre. Travailler les abats escortés d’épices peut être une dernière option qui vient à l’esprit de notre interviewé de circonstance.

Nous voilà bien armé et motivé pour déguster de bons vins du Beaujolais. Plus d’excuses.

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