Osons les révélations. On est comme ça chez Beaujolais & Co Aymeric n’a pas trente ans. Et pourtant il trimballe avec lui une bien belle expérience dans l’univers de la sommellerie le bougre.
L’individu est natif de Poitiers. Bon, ça, pourquoi pas… Sans doute en faut-il. Le jeune sommelier décide de donner souffle à son aventure sommelière en arrivant à Paris. Là il enchaîne les maisons prestigieuses : Groupe Ducasse, Pré-Catelan. Puis il part à Londres deux ans où il se fait remarquer non pas pour son french accent (très courant à Londres) mais pour son talent. Il deviendra meilleur jeune sommelier d’Angleterre puis enchaînera crânement par la distinction de meilleur jeune sommelier du monde. Une paille. Il n’était alors pas encore question de variant Anglais qu’Aymeric décidât de revenir en France pour œuvrer au sein du Pavillon Ledoyen.
Les présentations étant faites, découvrons ensemble ce que notre jeune poitevin nous raconte de beau au sujet du Beaujolais.
Rapport historique au Beaujolais
Pendant très longtemps j’ai vu le Beaujolais sous sa facette beaujolais nouveau admet Aymeric. Comme beaucoup en effet. Il prend soin de préciser qu’il entend par là vin simple consommé le 3ème jeudi du mois de novembre. Nous sommes au clair. Il poursuit en indiquant que de plus en plus, à force de goûter, de se renseigner, de discuter, il s’est rendu compte que le Beaujolais était en fait bien plus que cela.
Balade dans le vignoble
Aymeric nous raconte ainsi son périple récent dans le Beaujolais. Il a pu visiter une dizaine de domaines et goûter de nombreux autres. Cela a été une confirmation de l’intérêt à porter à ce lieu. Il a pu voir des vignerons avec de vraies valeurs, une recherche de qualité, un travail adapté et différent selon les vignerons et les terroirs. Voilà de quoi être bluffé devant cette multiplicité de facettes du Beaujolais reconnaît-il. Aymeric ressort conforté dans l’idée que le terroir y est grand et que les vins ont cette possibilité d’être de très grands vins. Alléluia !
La grosse surprise ?
Je saisis la révélation de ce récent séjour en Beaujolais pour questionner Aymeric sur sa plus grosse surprise, sa plus grosse découverte. Qu’est-ce qui a particulièrement frappé l’esprit de notre sommelier ?
Il mentionne là deux points particuliers. En toute logique commençons par le premier.
Première surprise
Tel le cri du cœur, Aymeric mentionne le rapport prix/plaisir de ouf ! notamment sur les crus du Beaujolais. Aymeric, un brin titillant, se demande si cela ne pourrait pas s’apparenter à une forme de manque d’ambition de la part de certains vignerons. Mais il tempère immédiatement en reconnaissant là une forme d’excès dans le propos afin de provoquer l’échange et la réflexion. Il précise avoir rencontré parfois certains vignerons un peu ancrés dans des coutumes et des traditions beaujolaises. Cela s’illustre notamment par la gamme de prix pratiquée. Si vous êtes de fidèles lecteurs de cette série d’interviews, vous aurez remarqué que ce point a déjà été soulevé par l’ensemble de nos interviewés.
Seconde surprise
Aymeric aborde maintenant sa seconde surprise. Et j’avoue qu’au regard de la nature de celle-ci, ce fut moi le surpris dans l’histoire. Il m’annonce avoir noté que peu de domaines pratiquaient un enherbement. Il précise sa pensée. Peu de domaines selon lui semblent être en bio ou biodynamie. Mais il reconnaît que beaucoup sont en phase de conversion. Aymeric poursuit ainsi. La tradition de haute densité à l’hectare (10 000 pieds/ha, même s’il est possible d’y déroger sous certaines conditions ; cf. notre article sur le Gamay), la concurrence de l’enherbement en termes de stress hydrique n’est pas facile à mettre en place. De plus, le travail des sols est rendu compliqué du fait de la taille traditionnelle en gobelet et en rangs pas toujours organisés. Là encore chers lecteurs, il est possible de se rendre sur notre article évoquant le Gamay pour y trouver plus de renseignements.
Question de taille
Notre globetrotteur reconnaît qu’aujourd’hui on semble un peu revenir sur cette pratique. Il illustre son propos en évoquant le fait que des vignerons replantent en Goblet mais réhaussé ou palissé pour pouvoir davantage travailler les sols. Cela lui semble donc aller dans le bon sens. Mais Aymeric avoue en toute franchise que la chose a été assez surprenante pour lui. Comparativement à ses visites dans d’autres vignobles, c’est la première fois qu’il avait ce ressenti. Mais la dynamique se fait progressivement et cela n’enlève rien à la qualité des vins conclut-il.
Le point de vue du consommateur
Le prix de certains vins semble être bien en deçà de leur qualité réelle. Mais le consommateur est-il prêt à payer plus cher ? C’est un substance ce point que je souhaite aborder avec Aymeric.
Notre sommelier pense qu’au moins du point de vue du marché parisien, le consommateur est ouvert à beaucoup de choses. Par conséquent, les crus doivent jouer leur carte à fond, quitte peut-être à se détacher un peu de de l’image « beaujolais ». Toute proportion gardée évidemment. Et de prendre le vignoble bordelais en exemple où il existe l’appellation générique avec une amplitude de prix et de qualité large. Et en parallèle des appellations rive droite et rive gauche très nettement identifiées et indépendantes. Peut-être est-ce là une voie à suivre pour le Beaujolais tout en gardant sa propre Identité évidemment se questionne Aymeric. De plus, il souligne (et à juste titre) que de plus en plus de vignerons font des parcellaires, allant jusqu’à l’identifier sur l’étiquette, ce qui est une démarche de grande qualité.
Il conclut en indiquant que l’image du Beaujolais peut être écornée du fait du beaujolais nouveau mais cela peut bien évidemment changer au regard de la qualité des vins qui est proposée en parallèle.
La parenthèse nature, bio, biodynamie
Aymeric évoque le mouvement dit « nature ». Il indique que des grands noms historiques de ce mouvement (ex. : Lapierre, Foillard, Métra…) font de belles choses. C’est un mouvement qui trouve sa clientèle. Mais selon son expérience, cela semble plus compliqué en 3* avoue notre sommelier. En bistronomie, bar à vin, la chose est différente sans doute. Quoi qu’il en soit, le problème des vins nature c’est la constance en terme qualitatif. Aymeric s’interroge ainsi sur le fait que ce type de vin ne soit pas bons (au sens non déviant) tout le temps, tous les jours. Après il y a aussi des vins conventionnels qui ne sont pas bons tous les jours tempère-t-il Cela peut s’entendre. Mais du point de vue du consommateur, est-ce acceptable s’interroge-t-il.
Notre sommelier poursuit en indiquant que la biodynamie reste encore très peu présente au global. Les bons vignerons y viennent avoue Aymeric. Mais il y a encore un peu deux vitesses.
Le mode de vinification à la Beaujolaise
Nous parlons là bien évidemment de la macération carbonique ou semi-carbonique. Pour plus de précisions, il est possible de se reporter à notre article sur le sujet.
Du positif…mais pas que…
Aymeric confirme d’entrée que selon lui, ce mode de vinification vient lisser les vins et gommer l’effet terroir. Pour autant, de façon positive, cela donne une dimension fruitée, plaisante et facile au vin. Et n’oublions pas dit-il que le Beaujolais, c’est aussi ce style de vin ; notamment pour le beaujolais nouveau. Donc d’une certaine façon, c’est compliqué de ne pas avoir cette approche-là.
Libre interprétation
Mais dans les crus, chaque vigneron a un peu sa méthode et son interprétation de cette fameuse méthode traditionnelle. Chacun y va de SA semi-carbo et travaille un peu à sa sauce. On ne peut que confirmer à Aymeric cet état de fait. Pour autant, pour beaucoup d’entre eux, il y a une recherche de respect de cette identité terroir qui se trouve dans les 10 crus du Beaujolais.
Alors de conclure ainsi. La semi-carbo, oui pourquoi pas sur les vins faciles d’accès, mais sur les vins plus structurés cela semble moins opportun. Et de souligner qu’il y a 100 ans, cette macération semi-carbonique qui est présentée comme approche traditionnelle ne l’était absolument pas.
Ça se réchauffe
Aymeric est très clair d’entrée. Le Beaujolais reste un vignoble septentrional qui garde une certaine fraîcheur malgré tout. En intervenant sur le travail de la vigne, la pratique culturale, la taille, la photosynthèse, il est possible de pondérer les effets du réchauffement climatique sans pour autant tout changer en termes d’encépagement.
Et de noter qu’incontestablement, une viticulture menée en biodynamie a une réelle plus-value sur cette question. Ainsi, la plante réagit mieux, elle fait des réserves d’eau plus importantes et la vie du sol est plus active. De conclure que la taille en gobelet palissé peut être une solution intéressante également.
Accord mets/vin, sortir de l’ordinaire
A l’occasion de ce voyage gustatif, Aymeric nous propose de contacter le poisson riche. En l’espèce une partie noble du thon rouge. Un vin rouge juteux, léger, élégant peut parfaitement s’accommoder d’une approche sushi par exemple.
Afin de rester en Asie tout en revenant sur un plat à base de viande, il propose un bœuf Wagyu coupé très fin, un peu en mille-feuille, accompagné de champignons et d’une laitue revenue dans un jus un peu corsé. L’accord avec un cru bien travaillé, avec un peu d’âge semble pouvoir converser agréablement avec notre plat.
Cela nous donne faim.
En conclusion Aymeric est sans appel. Le Beaujolais est en plein mouvement. Voilà un vignoble qui va dans le bon sens avec des vignerons qui se posent les bonnes questions. Beaucoup d’amateurs et de professionnels du vin en sont convaincus (nous en sommes évidemment chez Beaujolais & Co).
A nous tous de jouer les ambassadeurs !
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