Interview de Pierre Vila Palleja : sa vision du Beaujolais !

Pierre Vila Palleja interview beaujolais

Le Beaujolais sait parfois se faire désirer. Mais finalement, l’essayer c’est l’adopter. Voilà en résumé ce que va nous dire Pierre Vila Palleja tout au long de notre entretien. Il le dira comme toujours avec sincérité, humilité et un grand professionnalisme. Cette idée simple sert de fil d’Ariane à son propos.

Ce dernier est d’autant plus intéressant à recueillir que notre ami barbu (on parle de Pierre ici, pas du Beaujolais ; même si un bon beaujolais mes amis, ça fout quand même les poils avouons) est désormais en charge pour la Revue des Vins de France (RVF) de notre beau vignoble. Sa parole est donc très intéressante à entendre. Pierre le reconnaît, il a de la chance. Grâce à cette charge au sein de la RVF, il a pu toucher du doigt de nombreuses nuances d’une région dont jusque-là, il n’avait pas toujours bien cerné les contours. Pierre en convient, cela va prendre du temps afin de comprendre toutes ces subtilités de vignoble mais c’est une région passionnante qui mérite toute notre attention. Chez Beaujolais & Co, nous en sommes évidemment convaincus. Se vivant encore en phase de découverte, notre désormais « Beaujolais addict » considère déjà néanmoins ce vignoble comme étant actuellement un des plus importants d’Europe. Le ton est donné.

Par ailleurs, rappelons que Pierre, sommelier de formation, est également restaurateur. Il gère un établissement parisien Le Petit Sommelier. Cette adresse bien connue (et à fort juste titre) de l’amateur gourmand et gourmet de la capitale et du quidam de passage, renferme moult flacons, tous plus désirables les uns que les autres. Ali Baba révérait d’en faire sa caverne ; c’est dire ! Il se raconte même dans les bouches les plus autorisées que part belle est faite à nos breuvages tant choyés. Que grâce lui soit rendu.

Alors n’attendons plus ! Découvrons avec plaisir la lecture de l’explorateur malicieux au regard un brun candide.  

Quel était ton rapport au Beaujolais avant d’en être en charge pour la RVF ?

Saint Pierre passe à confesse

Assumant clairement et humblement la chose, Pierre reconnaît qu’il avait jusque-là une méconnaissance de toutes les expressions différentes du Beaujolais. On le pardonne bien volontiers. Ce n’est clairement pas le seul. Néanmoins, historiquement, il y a toujours eu des Beaujolais à la carte du Le Petit Sommelier. Mais seuls les classiques œuvraient alors. Peut-être par méconnaissance ou parfois par manque d’accessibilité admet Pierre. L’œuvre de pédagogie et de transmission est désormais en marche. Et notre nouveau converti y prend grande part.

Un vignoble au tempérament discret

Pierre note, semble-t-il à regret, que le gens du Beaujolais ne viennent pas vers toi pour te convaincre de connaître certains vins de cette région. Il complète son propos ainsi. Pour la Bourgogne, toutes les différences, les subtilités, c’est normal de les connaître alors que pour le Beaujolais ce n’est pas forcément évident. Le propos fait mouche nous semble-t-il. Et de préciser sa pensée. Les vignerons du Beaujolais connaissent les nuances de leurs terroirs évidemment mais n’osent pas ou ne savent pas parler des ces aspects. Pierre déroule le fil de son idée ainsi. Un trait de caractère fort des vignerons du Beaujolais est l’humilité, la retenue, la bonhomie. Ce sont des gens sympas mais ils n’osent pas mettre en lumière leur production.

Cette sympathie se ressent dans les vins déclare notre restaurateur. Ce sont des vins accessibles. Il peut y avoir des vins avec plus de profondeur, de plus grande expression, mais ils ne savent pas tout le temps en parler à leur juste valeur. Pierre souligne que le même phénomène existe un peu dans la Loire. Là non plus, les vignerons ne se mettent pas en première ligne. C’est une impression reconnaît-il.

Selon notre dégustateur, le Beaujolais c’était aussi dans son esprit des constantes. Le beaujolais nouveau ! C’est 30% du volume constate-t-il. Est-ce que c’est tirer vers le haut un vignoble se questionne-t-il. Poser la question est déjà un peu apporter la réponse. Il enchaîne. Est-ce que la semi-carbonique, la thermo-vinification (voir nos différents articles sur ces techniques de vinifications historiques et grandement répandues dans le Beaujolais) c’est valoriser au mieux les nuances de terroirs ? Il précise immédiatement que si chacun cherche son chat, tout le monde doit pouvoir trouver son Beaujolais. Il faut un vin qui correspondent aux attentes de chacun. C’est cela aussi l’esprit Beaujolais et c’est très bien ainsi confirme Pierre.

Voilà résumée l’image que Pierre avait du Beaujolais. N’est-ce pas là une vision assez répandue finalement ? Qu’en pensez-vous chers amis ?  

Tel un Shadok, le Gamay pompe

Notre sommelier restaurateur convient qu’il faut nuancer cette image. Il reconnaît tout en le regrettant que celle-ci reste malgré tout d’actualité. Moi j’ai envie de valoriser les nuances du terroir à travers un seul cépage. Eh oui, le gamay est une pompe à terroir s’exclame Pierre. Le gamay a la capacité de laisser s’exprimer le vigneron. Que cela soit en termes d’élevage et de vinification, avec toutes les nuances, les facettes, la géologie.

Notre journaliste de la RVF souligne enfin un point important. Il n’y a pas que des granites dans les sols du Beaujolais, loin de là. Beaucoup de nuances sont à faire valoir. Alors l’image du côté lissant de certains modes de vinification (entendons semi-carbonique et thermo-vinification) c’est bien pour certains marchés. Il faut du vin pour tout le monde, c’est certain admet-il. Mais si cela devient la majorité des vins, cela risque peut-être de tirer le vignoble vers le bas s’interroge-t-il.

Evolution du style et de la qualité du beaujolais nouveau

Pierre reconnaît qu’il n’a pas encore la profondeur d’analyse pour dire si le beaujolais nouveau a changé de style ou pas. Maintenant alerte-t-il c’est dans les derniers millésimes que l’on voit la limite de l’exercice. Et de prendre pour exemple le dernier millésime en date, 2020. Un bien chaud millésime vous en conviendrez qui laissa pas mal de stigmates et de coups de soleil.

Car, le cahier des charges du beaujolais nouveau c’est quoi interroge Pierre ? Et de présenter quelques grandes caractéristiques telles une capacité à proposer des vins friands et immédiats, une mise en bouteille précoce, une macération carbonique et une vendange entière. On reconnaît là, l’esprit de synthèse des grandes analyses.

Le dilemme des maturités

Et de constater que sur beaucoup de vins en 2020, les rafles et les peaux n’étaient pas mûres, les niveaux d’alcool étaient parfois assez hauts. Ainsi, les vins avaient une différence notable entre une maturité physiologique et une maturité phénolique. Il en résultait un côté déséquilibré. C’était pour Pierre un état de fait assez criant.

Cher lecteur de Beaujolais & Co, pour en savoir plus sur la maturité physiologique et phénolique il est possible de se référer à notre article sur la vinification. Pour rappel très schématique, la maturité physiologique du raisin est le rapport sucre /acidité. En mûrissant, le niveau de sucre augmente et le niveau d’acidité baisse.

Il existe un autre type de maturité qui intervient après la maturité physiologique. Il s’agit de la maturité phénolique. Là il est question de la maturité des éléments tels que la rafle, les arômes, les pigments qui composent le grain de raisin.

Et donc Pierre de questionner (à juste titre selon nous) sur l’avenir du beaujolais nouveau. Le dilemme se pose ainsi. Soit le vin est à 12 % mais n’est pas mûr (car la maturité phénolique n’est pas là), soit le vin est à 14 % (donc mûr car maturité physiologique et phénolique sont là) mais ceci gomme le côté appétant facile, canon. CQFD !

Et de conclure, sur ce constat tout en reconnaissant qu’il n’a pas la réponse mais qu’il s’agit là d’un vrai sujet.

Pierre Vila Palleja en 2021 à l’occasion de la finale du meilleur sommelier de France

Enjeux de l’évolution climatique

Selon Pierre, no stress. Le Gamay a cette capacité à gérer cela. Il reconnaît néanmoins qu’un terroir majoritairement granitique peut provoquer un souci de stress hydrique. La faible quantité d’argile peut être compliquée pour arriver à garder un peu de fraîcheur.

Pour étoffer son propos il s’interroge sur la nécessité éventuelle de planter de nouveaux cépages comme la Syrah par exemple. Pour rappel cher lecteur, dans Beaujolais & Co, nous avons présenté notre dégustation de la cuvée de Syrah du Château des Jacques. Pierre mentionne le fait que des cépages qui étaient jusque-là méridionaux sont en train de remonter vers des vignobles plus au nord. Rappel est fait que désormais à Bordeaux par exemple, 7 nouveaux cépages sudistes sont rentrés dans le cahier des charges de l’appellation.

Un grand Beaujolais est un grand vin

Vaste question s’il en est n’est-ce pas ?

Pierre précise sa vision d’un grand vin. C’est un vin de garde, qui propose aussi une grande émotion dans sa jeunesse et qui a enfin une capacité à refléter son terroir. Et d’indiquer, que souvent il préfère boire un beau beaujolais à maturité plutôt qu’un Bourgogne. Trouvez-vous aussi que cela a le mérite de la clarté et de la simplicité ?

Il nous pousse à la réflexion. Comparez vraiment les vins, et dites-vous qu’est-ce que je préfère vraiment boire ? Même si on met de côté la partie prix, le Beaujolais a aujourd’hui une vraie carte à jouer sur cette notion de qualité. C’est clairement un atout pour le Beaujolais. Même les Beaujolais Villages, issus d’un beau secteur (par exemple Lantigné ou Perréon) peuvent proposer de jolies choses. Chez Beaujolais & Co nous confirmons et vous renvoyons cher lecteur à nos posts / articles sur nos dégustations et visites de domaines.

Le beaujolais nouveau peut avoir ses arguments, mais cela devrait rester minoritaire. Actuellement, ce style de vin conserve une énorme portée et cela ne tire pas le vignoble vers le haut.

Pierre rappelle une donnée de bon sens. Aujourd’hui, nous n’avons pas besoin de boire du vin. On le fait pour le plaisir. A une certaine époque, on buvait du vin par souci d’hygiène car l’eau était impropre. Ce n’est bien évidemment plus le cas aujourd’hui. Donc les régions qui s’en sortent trouvent leur salut grâce à un nivellement vers le haut et pas vers le bas.

Tendance « Rosé » et « Pet Nat »

Chacun voit midi à sa porte évidemment concède Pierre. Mais la démarche restera confidentielle, même s’il est vrai que le Gamay s’y prête bien. C’est toujours sympa ponctuellement d’avoir ce type de vin avoue-t-il. Dans notre esprit un peu taquin, chez Beaujolais & Co, on pense qu’il est vrai que l’été, le barbecue et la piscine en raffolent. Mais si je dois parler beaujolais tempère-t-il, je préfère mettre 2 ou 3 € de plus à l’achat et avoir un vrai gamay de terroir. Et de bien insister sur le fait qu’il n’y a rien à intellectualiser ici. Ce n’est pas parce que c’est un vin de terroir que c’est nécessairement très compliqué ou très intellectuel comme approche. Les choses sont dites !

Nécessité de modifier le mode de vinification ?

L’histoire éclairante

Là encore, chacun voit midi à sa porte. Pierre reconnaît qu’à chaque fois qu’il goûte un vin à l’aveugle, il n’est pas certain que ce soit de la semi-carbonique. D’ailleurs annonce-t-il malicieux, il y a autant de styles de semi carbonique que de vignerons. Chacun a sa vision, sa technique. « C’est bien vrai ça !» comme le dirait feu la Mère Denis. Les moins de 35 ans ne peuvent sans doute pas comprendre cette référence subtile aux grandes heures de la réclame. Mais tant pis.

Pour compléter son propos Pierre nous indique qu’il reprend la lecture d’un livre de Victor Vermorel qui fin XIXème siècle décrivait la vinification. Il y est fait mention d’une vinification à la bourguignonne et pas de semi-carbonique. Mais il précise qu’il s’agissait d’une vendange foulée.

Et de conclure clairement en constatant que chez tous les grands vignerons, toutes les grandes expressions de Gamay ne sont pas faites en semi-carbonique. C’est un fait !

Pour rappel, Victor Vermorel (1848-1927) est un personnage Caladois (habitants de Villefranche sur Saône, la capitale du Beaujolais). Il inventa l’injecteur et pulvérisateur et contribua grandement à lutter contre le mildiou à la fin du XIXème siècle.

Question de prix

En fait, les arguments techniques ne sont pas véritablement la question. Et de rappeler en explication de son propos, qu’à l’époque, les vins étaient bien plus valorisés. En illustration, une barrique de Moulin à Vent était alors bien plus chère qu’une barrique de Chambertin.

Pierre indique que le juge de paix c’est le prix. Il y a une notion de marché à prendre en compte. Aujourd’hui les choses sont inversées entre un super Moulin à Vent et un Chambertin.

Notre dénicheur de beaujolais, continue de s’interroger sur la cruciale question du prix. Il y a des vignerons qui n’arrivent pas assez à lisser leur gamme. Une entrée de gamme pas chère et un haut de gamme pas au juste prix de la qualité et des coûts de production. Un des enjeux importants pour le vignoble : oser parler de prix.

L’approche « nature, bio, biodynamie » en Beaujolais

Pierre nous éclaire ainsi. Concernant l’approche dite « nature », la semi-carbonique, tu peux te permettre de mettre moins de soufre, donc la tendance est plus évidente. Cela explique pour partie pourquoi ce mode de viticulture/vinification a rencontré un succès dans le Beaujolais.

La Biodynamie touche en fait d’avantage les terroirs du sud et pas le Beaujolais (Gérard Bertrand et Michel Chapoutier sont de bons exemples) tempère Pierre. Mais il reconnaît toutefois que le Beaujolais s’y prêtait. Pour certains c’était un effet de mode et pour d’autres une conviction.

Ça ne va plus être la même limonade

Mais avec le réchauffement climatique, la chose va être plus compliquée. Cela va être de plus en plus difficile de faire du sans soufre ajouté. L’explication simple s’impose comme une évidence. Le développement de maladies et des défauts vont être de plus en plus flagrants. Et Pierre de nous alerter. Donc l’avenir n’est pas forcément fait pour ce style de vin sauf s’il y a une très grosse hygiène en cave et une approche très méticuleuse en vinification. En effet, avec l’acidité plus basse et l’alcool plus élevé le vin sera naturellement moins bien protégé.

Qu’est-ce qui t’a le plus surpris en découvrant la région ?

Très clairement, les bouchons. Cela vous en bouche un coin n’est-ce pas ? Les vignerons n’ont pas forcément fait gaffe à la qualité des bouchons et de leur approvisionnement, et ce, même chez les grands vignerons. Ces derniers ne râlent pas sur la qualité des bouchons ou des barriques. A très rare exception je n’ai jamais vu de très grands bouchons en Beaujolais alors que ça fait partie des grands vins de garde regrette Pierre.

Accord insolite

On le sait maintenant, Pierre est restaurateur ET grand amateur de beaujolais. La question s’impose donc d’elle-même. Comment sublimer notre divin terroir ?

Pierre est clair. Les vins du Beaujolais peuvent être tout terrain. L’alcool n’est jamais trop élevé, il y a une belle acidité, les tannins savent être plus ou moins présents. Ce sont des vins passe-partout mais dans le bon sens du terme.

Alors pourquoi pas un grand plat de légumes ? Comme la betterave en croûte d’Alain Passard ? On aurait le côté un peu juteux, terreux, les rondeurs sans le sucre. Le Beaujolais a très certainement une carte à jouer sur sa capacité à proposer des bons accords mets/vins.

Nous, on adore l’idée. Il nous reste plus qu’à l’essayer. Et vous ?

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